Sunday, March 3, 2013

Petits pâtés de cheval, etc.

Horreur : on nous fait consommer de la viande de cheval!  Ce refrain ébranle l'Europe depuis la mi-janvier, moment où éclatait le scandale  que la presse britannique s'est empressé de dénommer "horsegate".  Les Européens découvraient avec dégoût que plusieurs plats préparés, censés être 100% pur boeuf, contenaient en fait une proportion élevée de viande chevaline.  Si j'entame un billet sur ce sujet, vous l’aurez probablement deviné, c’est qu’il y a un peu plus de deux siècles et demi cette viande faisait aussi scandal en Nouvelle-France.
Chevaux canadiens.  Détail d'une aquarelle de James Peachey, v. 1785.
La pratique alimentaire qui consiste à consommer de la viande de cheval a un joli nom, celui d’hippophagie.  Plusieurs peuples l'ont pratiquée.  Son association à des pratiques rituelles païennes poussa cependant l’Église catholique du Moyen Âge à la prohiber; le statut noble qui distinguait, dans le contexte féodal, le cheval des autres animaux domestiques contribua aussi à en marginaliser la consommation.  Madeleine Ferrières, spécialiste de l’histoire de l’alimentation, apporte un éclairage historique sur le récent scandale dans Libération : “il apparaissait impensable de manger du cheval, un compagnon de labeur à l’espérance de vie égale à l’homme”.  La viande de cheval inspirait dorénavant un veritable dégoût, et la réputation de propager des maladies.  Au XVIIIe siècle, alors que s'estompe le pouvoir dissuasif de l'interdit religieux, des ordonnances royales viennent rappeler la règle et maintenir la mauvaise réputation de l'hippophagie en France.
Quoique marginalisée en occident, l'hippophagie y resurgit lors des périodes de disettes ou des famines qui accompagnent trop souvent la guerre.  La Guerre de Sept Ans la fait entrer dans les annales de la Nouvelle-France.   À l'automne 1757, le Canada est au bord de la famine.  Faute de boeuf, les garnisons sont les premières "mises au cheval".  Le 2 décembre 1757, le marquis de Montcalm écrit de Québec au chevalier de Lévis "On va donner du cheval à nos troupes. Monsieur l'intendant vouloit une distribution toute en boeuf et une autre toute en cheval. Nous avons obtenu qu'on donneroit à chaque distribution moitié l'un moitié l'autre, et M. Cadet m'a dit écrire les mêmes choses pour Montréal."  La rumeur se répend bientôt chez le peuple que le munitionnaire mal-aimé Jean-Michel Cadet fait ramasser toutes les rosses du pays pour les faire manger.  "Aussi," rapporte l'officier et ingénieur Pierre Pouchot, "dès que l'on voyait un cheval exténué, on l'appelait un Cadet".
Montcalm, bien conscient de l'aversion populaire, cherche à mener par l'exemple. "Au reste," rapporte-t-il dans une autre lettre écrite au chevalier de Lévis dans les jours suivant la dernière, "on mange chez moi du cheval de toute façon, hors à la soupe : Petits pâtés de cheval à l'espagnole, Cheval à la mode, Escalopes de cheval, Filet de cheval à la broche avec une poivrade bien liée, Semelles de cheval au gratin, Langue de cheval en miroton, Frigousse de cheval, Langue de cheval boucanée, meilleure que celle d'orignal, Gâteau de cheval, comme les gâteaux de lièvres." Quant au goût, le marquis conclut que "Cet animal est fort au-dessus de l'orignal, du caribou et du castor".
Tous ne sont pas si facilement convaincus des vertus de la viande chevaline.  La garnison de Québec semble s’y prêter de bonne grâce, mais à Montréal les troupes et le peuple font quelques troubles. Les Canadiens affichent une répugnance particulièrement prononcée.  De nombreuses canadiennes s'attroupent devant la résidence du gouverneur de Vaudreuil, exigeant une audience.  Il reçoit quatre d'entre elles, leur demandant quel était le sujet de l'émeute.  Dans son journal, Lévis explique que “Les femmes répondirent à M. de Vaudreuil qu'elles avoient de la répugnance à manger du cheval; qu'il étoit ami de l'homme; que la religion défendoit de les tuer et qu'elles aimeroient mieux mourir que d'en manger... Elles dirent qu'elles n'en prendroient pas, ni personne, pas même les troupes. Après quoi, elles se dissipèrent et se retirèrent chez elles en tenant des propos séditieux".  Vaudreuil cherche à raisonner avec elles, les faisant mener à l'abattoir pour leur montrer que leur boucherie était aussi saine que celle du boeuf.  Il les menace aussi, mais en vain.  Certaines femmes continuent à défier les autorités, allant jusqu'à jeter leurs viandes aux pieds du gouverneur.
En France, la légalisation de la boucherie chevaline ne se fait qu’en 1866.  Les forces progressistes de l’époque y voient un moyen de mieux nourrir les masses, qui ne mangent que rarement de la viande, et de protéger le cheval qui se voyait sauvagement maltraité en milieu urbain.
La répugnance pour la viande chevaline persiste cependant au Québec jusqu'à tout récemment.  Au milieu du XXe siècle, on s'étonnait du penchant que les français avaient développé pour elle (comme le sous-entend Léon Trépanier dans un reportage de 1947 que l'on retrouve aujourd'hui dans les archives de Radio-Canada).  En 1994, la modification du Règlement sur les aliments vient permettre la vente de cette viande chez tous les détaillants en alimentation de la province.  Suite à une série de campagnes publicitaires vantant sa faible teneur en gras, sa consommation s'est beaucoup répandue ces dernières années.  On peut aujourd'hui en trouver dans presque toutes les grandes surfaces au Québec.  Au Canada anglais, cette mode tarde encore, quoique le pays dans son ensemble soit un grand exportateur de viande chevaline.
P.-F.-X.

3 comments:

  1. La pire partie de ces nouvelles sont les jeux de mots de chevaux.

    http://www.bbc.co.uk/news/magazine-21324523

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  2. La viande de cheval et Montcalm

    La viande de cheval en 1759

    http://www.ourroots.ca/page.aspx?id=704551&qryID=9abf08e6-6486-4dee-aee8-55832d55d423

    http://www.ourroots.ca/page.aspx?id=704552&qryID=9abf08e6-6486-4dee-aee8-55832d55d423

    Soldat Sanspareil
    Chevalier de St-Véran
    2ème bataillon du régiment de la Sarre
    Vive le Roy!
    http://ordredesaintveran.puzl.com/coinsanspareil
    http://www.regimentdelasarre.ca
    http://www.youtube.com/user/SoldatSanspareil
    http://www.tagtele.com/profil/Sanspareil
    http://www.ameriquebec.net/actualites/2009/08/03-rapatriement-des-armoiries-royales-de-france.qc
    François Mitterrand
    Un peuple qui n’enseigne pas son histoire est un peuple qui perd son identité

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  3. La viande de cheval à Québec en 1757

    http://www.ourroots.ca/page.aspx?id=376023&qryID=dd50bafb-53f3-459d-b3bb-9fb388da07ed

    Soldat Sanspareil
    Chevalier de St-Véran
    2ème bataillon du régiment de la Sarre
    Vive le Roy!
    http://ordredesaintveran.puzl.com/coinsanspareil
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    http://www.youtube.com/user/SoldatSanspareil
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    http://www.ameriquebec.net/actualites/2009/08/03-rapatriement-des-armoiries-royales-de-france.qc
    François Mitterrand
    Un peuple qui n’enseigne pas son histoire est un peuple qui perd son identité

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