Revivra-t-on de sitôt une année aussi chargée sur le plan commémoratif que celle qui aujourd'hui se termine? Remontée de la Rivière des Outaouais par Champlain (1613); fondation du Conseil Souverain et du Séminaire de Québec, arrivée des premières Filles du Roi (1663); Traité d'Utrecht (1713); Traité de Paris, Proclamation royale et Guerre de Pontiac (1763).
Avant de tourner la page sur 2013, pourquoi ne pas prendre l'occasion de réfléchir aux quelques anniversaires qui seraient passés inaperçus? Il me semble y en avoir au moins deux, qui s'adonnent à finir en -al.
Le 400e du sac de l'Acadie par Samuel Argall
Vers 1610 les Anglais prennent connaissance de l'entreprise coloniale française en Amérique du nord... dans des territoires qui avaient, en principe, été concédés par James I à la Virginia Company of London! En vertu de l’autorité qui lui avait été conférée par ce roi, l'assemblée de la Virgnie nomma le capitaine Samuel Argall amiral à l'été 1611. S'étant formé au métier des armes dans les guerres des Pays-Bas, ce dernier s'était plus récemment tourné vers la lucrative pêche des Terres-Neuves.
Argall fut ainsi chargé par le gouvernement de la Virginie d'expulser les Français de tout le territoire revendiqué par l’Angleterre. Voguant à bord du Treasurer, il atteignit les établissements d'Acadie en juillet 1613. L'Acadie française, comme elle se révélera l'être maintes fois par la suite, était éminemment vulnérable. Les Français y étaient peux nombreux, par surcroît divisés par une querelle qui opposait le commandant Charles de Biencourt aux Jésuites Biard et Massé, et affairés à l'érection d'une nouvelle habitation dénommée Saint-Sauveur (sur l'actuelle Mount Desert Island non loin de Bar Harbor, au Maine). Argall s'en prit d'abord à cet établissement. Puisque la majorité des Français avaient mis pied à terre pour les travaux, leurs vaisseaux furent aisément capturés; puisqu'ils n'avaient pas encore fortifié les lieux, ils ne purent s'opposer au débarquement de leurs adversaires. De Saint-Sauveur, Argall se rendit à Sainte-Croix, où il détruisit et pilla les restes de la vieille habitation. Puis, ce fut au tour du chef-lieu de Port Royal, qu'il fit raser -- seul le moulin et quelques dépendances isolées furent épargnées.
La flotte d'Argall quitta Port-Royal le 13 novembre 1613. Lors du retour de l'amiral en Angleterre l'année suivante, la légitimité de sa campagne contre les établissements français d'Acadie fit l'objet d'une enquête qui se solda par son exonération et par la réaffirmation des droits de la Virginia Company. En dépit des révendications anglaises, et en partie à cause d'elles, l'entreprise française persistera cependant encore longtemps en Acadie.
Trop occupés cette année à réfléchir à l'ultime chapitre du conflit franco-britannique en Amérique, n'a-t-on pas raté une belle occasion de se pencher sur l'une de ses premières expressions?
Le 300e de la naissance de Raynal
Un autre anniversaire? Pourquoi pas celui de la naissance d'un des premiers historiens de la colonisation française : Guillaume Thomas Raynal? Celui que l'on connaît mieux sous le nom de l'abbé Raynal naquit le 12 avril 1713 à Lapanouse en Aveyron. Formé chez les Jésuites, puis ordonné prêtre, il servit de précepteur à des fils de grandes familles parisiennes et devint habitué des salons. Collaborateur de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, il dirigea un certain temps le Mercure de France, et publia quelques ouvrages historiques avant d'entreprendre son magnum opus. Cette Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes deviendra un succès de librairie, un véritable "best-seller" des Lumières. La première édition paraît à Amsterdam sous l'anonymat en 1770; la seconde en 1774, toujours sous l'anonymat, mais arborant le portrait de l'auteur; une troisième, clairement attribuée cette fois, paraît en 1780. (À vrai dire, Raynal avait eu quelques collaborateurs, dont Diderot.)
L'ouvrage, fort critique sur le plan politique, social et moral, est interdit par le Conseil du Roi, condamné par le Parlement de Paris et la Sorbonne, et mis à l'Index. Son auteur sera un certain temps proscrit, mais il sera surtout adulé. Dans le survol de la colonisation européenne qu'est l'Histoire des deux Indes, la Nouvelle-France et le Canada depuis la Conquête occupent une place singulière. La description du Canada, depuis sa découverte, les étapes de sa colonisation, les cadres de vie des Canadiens, y tiennent en effet une longueur exceptionnelle, trois des dix-neuf chapitres si je ne m'abuse. Son influence se fera sentir. F.-X. Garneau fit abondamment usage de l'Histoire des deux Indes. De même les poètes et les historiens et de l'Acadie -- l'image que Longfellow et bien d'autres nous ont faite des Acadiens d'avant la deportation, comme vivant paisiblement et en parfaite harmonie avec la nature, c'est du Raynal tout craché!
Raynal diffusa par ailleurs l'idée selon laquelle la France possédait, malgré la perte du Canada, des colonies en nombre suffisant. En cet anniversaire des Traités de Paris de 1763 et 1783, pourquoi ne pas lui reconnaître une part de responsabilité (attention: je ne dis pas blâme) dans l'abandon définitif du Canada?
Le tricentenaire Raynal a été marqué par certains en France, mais est a ma connaissance passé parfaitement inaperçu de ce côté de l'Atlantique. Ceux qui voudraient en savoir plus long sur le pendant nord-américain de la pensée et de l'oeuvre de Raynal peuvent toutefois feuilleter le texte d'une intervention de Gilles Bancarel dans les actes du colloque du Congrès national des sociétés historiques et scientifiques tenu à Québec en 2008. Les obsédés pourront ensuite se tourner vers l'historien français Émile Salone, qui publiait déjà en 1906 une étude intitulée Guillaume Raynal, Historien du Canada (il s'agissait d'une thèse complémentaire à la thèse principale, La colonisation de la Nouvelle-France, soumise pour l'obtention de son doctorat).
Ais-je manqué d'autres anniversaires? Quoi qu'il en soit, on se revoit en 2014?
P.-F.-X.
Avant de tourner la page sur 2013, pourquoi ne pas prendre l'occasion de réfléchir aux quelques anniversaires qui seraient passés inaperçus? Il me semble y en avoir au moins deux, qui s'adonnent à finir en -al.
Le 400e du sac de l'Acadie par Samuel Argall
Vers 1610 les Anglais prennent connaissance de l'entreprise coloniale française en Amérique du nord... dans des territoires qui avaient, en principe, été concédés par James I à la Virginia Company of London! En vertu de l’autorité qui lui avait été conférée par ce roi, l'assemblée de la Virgnie nomma le capitaine Samuel Argall amiral à l'été 1611. S'étant formé au métier des armes dans les guerres des Pays-Bas, ce dernier s'était plus récemment tourné vers la lucrative pêche des Terres-Neuves.
Argall fut ainsi chargé par le gouvernement de la Virginie d'expulser les Français de tout le territoire revendiqué par l’Angleterre. Voguant à bord du Treasurer, il atteignit les établissements d'Acadie en juillet 1613. L'Acadie française, comme elle se révélera l'être maintes fois par la suite, était éminemment vulnérable. Les Français y étaient peux nombreux, par surcroît divisés par une querelle qui opposait le commandant Charles de Biencourt aux Jésuites Biard et Massé, et affairés à l'érection d'une nouvelle habitation dénommée Saint-Sauveur (sur l'actuelle Mount Desert Island non loin de Bar Harbor, au Maine). Argall s'en prit d'abord à cet établissement. Puisque la majorité des Français avaient mis pied à terre pour les travaux, leurs vaisseaux furent aisément capturés; puisqu'ils n'avaient pas encore fortifié les lieux, ils ne purent s'opposer au débarquement de leurs adversaires. De Saint-Sauveur, Argall se rendit à Sainte-Croix, où il détruisit et pilla les restes de la vieille habitation. Puis, ce fut au tour du chef-lieu de Port Royal, qu'il fit raser -- seul le moulin et quelques dépendances isolées furent épargnées.
La flotte d'Argall quitta Port-Royal le 13 novembre 1613. Lors du retour de l'amiral en Angleterre l'année suivante, la légitimité de sa campagne contre les établissements français d'Acadie fit l'objet d'une enquête qui se solda par son exonération et par la réaffirmation des droits de la Virginia Company. En dépit des révendications anglaises, et en partie à cause d'elles, l'entreprise française persistera cependant encore longtemps en Acadie.
Trop occupés cette année à réfléchir à l'ultime chapitre du conflit franco-britannique en Amérique, n'a-t-on pas raté une belle occasion de se pencher sur l'une de ses premières expressions?
Le 300e de la naissance de Raynal
Un autre anniversaire? Pourquoi pas celui de la naissance d'un des premiers historiens de la colonisation française : Guillaume Thomas Raynal? Celui que l'on connaît mieux sous le nom de l'abbé Raynal naquit le 12 avril 1713 à Lapanouse en Aveyron. Formé chez les Jésuites, puis ordonné prêtre, il servit de précepteur à des fils de grandes familles parisiennes et devint habitué des salons. Collaborateur de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, il dirigea un certain temps le Mercure de France, et publia quelques ouvrages historiques avant d'entreprendre son magnum opus. Cette Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes deviendra un succès de librairie, un véritable "best-seller" des Lumières. La première édition paraît à Amsterdam sous l'anonymat en 1770; la seconde en 1774, toujours sous l'anonymat, mais arborant le portrait de l'auteur; une troisième, clairement attribuée cette fois, paraît en 1780. (À vrai dire, Raynal avait eu quelques collaborateurs, dont Diderot.)
L'ouvrage, fort critique sur le plan politique, social et moral, est interdit par le Conseil du Roi, condamné par le Parlement de Paris et la Sorbonne, et mis à l'Index. Son auteur sera un certain temps proscrit, mais il sera surtout adulé. Dans le survol de la colonisation européenne qu'est l'Histoire des deux Indes, la Nouvelle-France et le Canada depuis la Conquête occupent une place singulière. La description du Canada, depuis sa découverte, les étapes de sa colonisation, les cadres de vie des Canadiens, y tiennent en effet une longueur exceptionnelle, trois des dix-neuf chapitres si je ne m'abuse. Son influence se fera sentir. F.-X. Garneau fit abondamment usage de l'Histoire des deux Indes. De même les poètes et les historiens et de l'Acadie -- l'image que Longfellow et bien d'autres nous ont faite des Acadiens d'avant la deportation, comme vivant paisiblement et en parfaite harmonie avec la nature, c'est du Raynal tout craché!
Raynal diffusa par ailleurs l'idée selon laquelle la France possédait, malgré la perte du Canada, des colonies en nombre suffisant. En cet anniversaire des Traités de Paris de 1763 et 1783, pourquoi ne pas lui reconnaître une part de responsabilité (attention: je ne dis pas blâme) dans l'abandon définitif du Canada?
Le tricentenaire Raynal a été marqué par certains en France, mais est a ma connaissance passé parfaitement inaperçu de ce côté de l'Atlantique. Ceux qui voudraient en savoir plus long sur le pendant nord-américain de la pensée et de l'oeuvre de Raynal peuvent toutefois feuilleter le texte d'une intervention de Gilles Bancarel dans les actes du colloque du Congrès national des sociétés historiques et scientifiques tenu à Québec en 2008. Les obsédés pourront ensuite se tourner vers l'historien français Émile Salone, qui publiait déjà en 1906 une étude intitulée Guillaume Raynal, Historien du Canada (il s'agissait d'une thèse complémentaire à la thèse principale, La colonisation de la Nouvelle-France, soumise pour l'obtention de son doctorat).
Ais-je manqué d'autres anniversaires? Quoi qu'il en soit, on se revoit en 2014?
P.-F.-X.