Ces jours-ci marquent la fin d'une époque à Bibliothèque et Archives Canada, où deux archivistes chevronnées prennent leur retraite après avoir consacré de longues et belles années à la découverte et la mise en valeur des archives coloniales.
Lorraine Gadoury devint archiviste aux Archives nationales du Canada en 1991. Elle avait soutenu une thèse de doctorat à l’Université de Montréal en 1988, dans laquelle elle avait cherché à définir avec rigueur la noblesse coloniale et à cerner ses comportements démographiques. Publiées sous le titre La noblesse en Nouvelle-France, Familles et alliances (Montréal, Hurtubise HMH, 1992), ces recherches furent fort bien reçues et sont encore fréquemment citées par les historiens. Le fruit de recherches postdoctorales prolongeant l’enquête aux sentiments, aux attitudes et aux valeurs de l'élite canadienne et se penchant sur les lettres échangées au sein de familles nobles et bourgeoises comme vecteur, fut publié par la suite sous le titre de La famille dans son intimité. Échanges épistolaires au sein de l'élite canadienne du XVIIIe siècle (Montréal, Hurtubise HMH, 1998). Affectée à l’origine à la Division des archives gouvernementales, Lorraine Gadoury s’est par la suite retrouvée au fil des ans et des réorganisations dans la Division des manuscrits et plus récemment aux Archives sur l'économie et la gestion publique. Elle a beaucoup travaillé avec les archives de la Nouvelle-France, faisant notamment partie de l’équipe responsable de l’exposition virtuelle Nouvelle-France, Horizons nouveaux en 2004, et publiant dans la revue Archives un excellent sommaire de ces archives et des initiatives de numérisation qui étaient en cours à l’époque (les chercheurs en herbe auraient encore aujourd’hui avantage à le consulter, ici en format pdf). En parallèle, elle s’est beaucoup impliquée au sein de la profession, servant longtemps comme rédactrice de la revue Histoire sociale / Social History et siégeant comme secrétaire au conseil de l’Institut d’histoire de l’Amérique française.
Patricia Kennedy, quant à elle, entama sa carrière aux Archives publiques du Canada, comme elles se nommaient alors, en tant qu’étudiante d’été en 1966. Ayant fait des études en histoire à l’University of British Columbia et à Columbia University, elle rejoignit la Division des manuscrits. Elle devint éventuellement chef de la section des archives antérieures à la Confédération au sein de cette division avant de passer à la Division des archives politiques et sociales et enfin aux Archives sur l’économie et la gestion. « Pat » Kennedy fut et demeure avant toute experte des archives du Régime britannique, mais les amateurs du régime précédent ne doivent surtout pas lui en tenir rigueur! Au cours de sa carrière elle a préparé de nombreux catalogues et descriptions d’inventaire dont les historiens du Canada et du Québec d’avant la Confédération ne sauraient se passer, ainsi que de nombreux articles touchant notamment aux traités avec les Premières Nations, à l’iconographie de Québec au XVIIIe siècle et aux méthodes archivistiques. Tous ceux qui ont eu le privilège de la croiser ou de correspondre avec elle peuvent témoigner non seulement de son érudition remarquable, mais aussi de sa générosité débordante à l’égard des chercheurs. John Ralston Saul, qui en a beaucoup bénéficié, a décrit Pat Kennedy comme « un véritable trésor national ».
La retraite représente en principe une étape bien méritée et goûtée dans le cheminement professionnel. Nombreux sont les fonctionnaires qui, ayant contribué à leur fonds de pension pendant de longues années, attendent impatiemment de pouvoir en jouir et de se tourner vers une vie de loisir. Mais lorsque la retraite s’inscrit dans la cadre d’un « réaménagement des effectifs », comme c’est ici le cas, elle revêt un caractère moins heureux. D’aucuns souligneront qu’il était temps que ces archivistes cèdent leur place à la relève. Peut-être. Mais force est de constater que la culture institutionnelle change à BAC, et non en mieux. Le réaménagement actuel des effectifs s’inscrit dans le cadre des coupures du budget fédéral de cette année, mais aussi du processus de « modernisation » entrepris sous la gouverne de Daniel Caron, administrateur de l’institution depuis 2009. Les transformations en cours ont soulevé de vives inquiétudes chez les historiens, archivistes et bibliothécaires professionnels, mais aussi chez les généalogistes et les amateurs d’histoire. On entrevoit un resserrement alarmant des critères d’acquisition, une détérioration des services, mais aussi un effritement des compétences. La relève est dynamique, certes, mais la haute direction de l’institution ne semble pas prête à reconnaître à ces jeunes archivistes un rôle en matière de recherche fondamentale, de diffusion du savoir, et de service à la communauté professionnelle et à la discipline historique.
P.-F.-X.
J'ai beaucoup aimé travailler avec Patricia et Lorraine aux Archives sur l’économie et la gestion (j'étais une étudiante d'été). Le BAC perd 2 grandes Archivistes!
ReplyDeleteJe ne suis pas d'accord avec l'idée que vous avancez qu'il y a un effritement des compétences à BAC. L'expertise est bien présente, mais elle n'est pas mise à contribution par la haute gestion, ce qui rends le travail extrêmement frustrant pour des archivistes comme moi qui ne souhaitent que donner un service de qualité et compétent.
ReplyDeleteCher Anonyme #2, je suis, en somme, parfaitement d'accord avec vous. Je ne voudrais surtout pas remettre en cause l'expertise et la compétence individuelles des employés de BAC. J'en connais plusieurs et ils sont, sans exception, d'excellents archivistes, bibliothécaires et historiens. Je n'abandonne pas pour autant la thèse de l'effritement: il ne s'opère peut-être pas au niveau individuel, mais ne croyez vous pas que le mot est juste lorsqu'on parle de l'institution dans son ensemble? BAC réussit-elle aussi bien aujourd'hui qu'auparavant à "Préserver le patrimoine documentaire" et servir de "source de savoir" comme le demande son mandat? Je ne suis pas le seul à m'être penché sur la question et à conclure qu'en ce sens la compétence globale diminue.
ReplyDeleteP.-F.-X.
Il y a bien une douzaine d'années que je ne fréquente à peu près plus les archives au nom qui change souvent. Pourtant,ma première visite fut aux temps anciens à l'édifice de la rue Sussex à Ottawa. Et plus tard quasiment tous les jours durant cinq ou six ans au 395 rue Wellington, et ensuite moins fréquement. La "retraite" venue, j'y suis retourné fréquement au début, mais graduelement de moins en moins. Vous évoquez des archivistes extraordinaires qui partent, mais ils ne sont hélas que les plus récents des excellents archivistes qui, depuis environ 15 ou 20 ans, étaient quasiment punis pour la connaissance des documents sous leur garde.
ReplyDeleteL'endroit est, en fait, devenu désolant et, à moins de consulter des microfilms, me semble quasiment en mépris du chercheur qui désire lire des documents originaux dans un délai raisonable et en prendre des clichés sans à subir de rocambolesques histoires buraucratiques. Bref, un véritable service au lecteur y est manifestement découragé.
Ma solution est toute simple. Bien que j'habite à dix minutes du 395 Wellington, chaque année, je m'envole au Royaume-Uni pour y passer habituellement trois semaines très agréables à Kew, où se trouvent The National Archives (jadis Public Records Office). Bien sur, il faut remplir des formulaires, obtenir une carte magnétisée (bonne pour cinq ans) et même suivre un petit cour obligatoire sur la fréquentation de ces archives.
Ceci étant fait, bienvenue dans une institution qui prend les services aux lecteurs très sérieusement. Avec votre carte magnétique, vous commandez les volumes désirés, choisissez une place dont le numéro correspond au casier en verre où seront déposés les volumes désirés.
Si vous avez une caméra, pas de soucis. Vous demandez une place près des fenêtres. On fournit même les trépieds. Pas besoin d'enregistrer la caméra, geste stupide - ça sert à qui ?
Ah! Quelque 40 minutes se sont écoulées (ou plus car il y a un fort bon café au rez-de-chaussée) et pas de volumes en vue? À The National Archives, on recommande alors au chercheur de s'en plaindre à un archiviste préposé !
Pardonnez ces témoignages d'expérience personnelle, mais pour un chercheur, c'est l'accès efficace et cordial aux documents qui est important.
À The National Archives du Royaume-Uni, c'est le cas car l'accès libre et sans entraves aux archives est considéré comme l'un des fondements de la démocracie. Ce qui explique que la priorité va aux "Reader Services" - les services aux lecteur.
Quand à l'institution size au 395 Wellington, à Ottawa, elle semble être, disons, moins démocratique...